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“Qui a peur de la Gorgone ?”
1 Week-end ensoleillé, nous partons nous dérouiller les rotules dans le massif des Gigantes1, à l'extrémité septentrionale de la chaîne cordobaise des Altas Cumbres. 1 Gigante{s} = géant{s} |
2 Ce relief chaotique doit son nom à une bande de silhouettes gigantesques, dont le Cerro La Cruz, au centre, est un accorte représentant ; |
3 bien que ses flancs escarpés laissent dubitatif, on peut en atteindre le sommet et y agiter les bras énergiquement pour simuler la chevelure du colosse de pierre. |
4 A mesure que nous approchons du monstre, je ne laisse pas de m'inquiéter sur les modalités de la redoutable ascension qui nous attend... |
5 Et effectivement, ça s'annonce plutôt mal : passé une première série d'obstacles carabinés, non sans qu'il faille se plier à de disgracieuses contorsions,... |
6 ...nous attaquons les choses sérieuses : il faut à présent crapahuter dans un amoncellement vertigineux de rocs hostiles, et escalader des parois escarpées. |
7 Les choses se corsent objectivement, et, nonobstant l'aimable assistance dont sait faire preuve notre guide, il n'en faut pas plus pour épater le froussard que je suis. |
8 Aussi me décidé-je raisonnablement à rester bouder sur mon rebord de falaise, comme un clebs abandonné. Continuez sans moi, je penserai à vous. |
9 Heureusement {pour vous}, le photographe n'a pas le vertige et immortalise ce glorieux exploit, cependant que je rumine de futurs commentaires désobligeants. |
10 Bof, j'en ai déjà vu plein des calvaires, un de plus ou un de moins, je m'en fiche pas mal... Aucun regret. Vraiment. Je suis bien mieux à me les geler dans ma crevasse ! |
11 Et le panorama ? Vous parlez d'un tableau : la mine d'uranium désaffectée, au premier plan, je dis pas ; mais le reste, franchement : des cailloux à perte de vue... |
12 Mais c'est qu'elles me narguent ! Les toupies ! Attendez voir un peu, si je vous attrape ! Gare à vous, j'arrive ! tenez-vous bien, en moins de deux je vous tombe dessus ! Ça va barder ! |
13 Vous voyez, c'est bien ce que je disais : ça vaut pas la peine de risquer de se rompre les vertèbres si c'est ensuite pour s'ennuyer dans son coin ! |
14 Ahah ! On fait moins les malines, maintenant, pour redescendre ! Je vous avais prévenues, personne ne voulait m'écouter, faudra pas venir vous plaindre ! |
15 Tandis que je mijote une pique vengeresse, l'œil aiguisé de Nico a repéré un étrange profil sculpté à flanc de piton, à l'arrière-plan, à la lisière de l'ombre – |
16 en s'approchant un peu, nous découvrons éberlués ce faciès criant de réalisme, tel un Comechingon médusé. L'érosion façonne décidément très bien toute seule Mont Rushmore et autres Lions de Belfort ! |
17 Peu désireux de croiser la maléfique Gorgone qui a accouché de cette créature, nous redescendons rapidement de cet antre hanté. |
18 Pour nous remettre de mes émotions et de leurs efforts, rien de tel qu'un petit balneario1 ! Nous partons donc à la recherche du Río Yuspe. 1 Balneario = tout endroit où l’on peut se baigner, que ce soit une plage en bord de mer ou un ruisseau de montagne. |
19 Après une petite demi-heure d'un parcours peu accidenté, louvoyant somnolents entre les broussailles, l'inhospitalière Quebrada del Yuspe est en vue. |
20 Nous atteignons enfin les berges de la rivière, encombrées d'un fatras de blocs granitiques qui rendent la progression un rien acrobatique – un mince filet d'eau louvoie entre les rochers. |
21 En persévérant encore un peu, nous découvrons bientôt une belle retenue naturelle, bordée d'un gros pâté de sable qui l'est peut-être moins. Quoi qu'il en soit, l'endroit est charmant ! |
22 Vu d'en haut, cette piscine idyllique s'articule en deux bassins reliés par une petite cataracte ; en amont, un groupe de baigneurs a déjà investi les lieux et batifole gaiement. |
23 Nous nous établissons donc en aval, mais à peine a-t-on trempé un orteil dans le bassin que nous faisons aussitôt machine arrière : le mois de mai austral est décidément très automnal, et l'eau est affreusement glacée ! |
24 Franchement vexé, Nico se met en boule –mais lorsque nous nous rendons compte que cette concrétion n'est autre que l'œil exorbité du titan médusé, nous déguerpissons à toutes jambes vers la sortie. |