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“Pour une poignée de morceaux de sucre”

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Ils nous viennent de Córdoba Capital, je vous demande d'applaudir bien fort nos sympathiques candidats pour cette nouvelle édition de “Un week-end à l'Estancia” !
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Aujourd'hui : l'estancia “La Soñada”. Nos quatre valeureux participants seront logés dans ce pavillon rustique, aménagé dans le pré à vaches.
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Mais commençons sans plus tarder par une première épreuve : le traditionnel Jeu de la Grenouille – non, mademoiselle, on s'éloigne un peu je vous prie, c'est de la triche là !
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Deuxième épreuve : on prend le large, on quitte la propriété, on s'aventure dans la jungle à la recherche du Jacuzzi Merveilleux.
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Il s'agit de se frayer un passage jusqu'au río enchanteur qui coule à quelques centaines de mètres de là, dont le lit offre un vrai jacuzzi en plein air – dixit Jorge, le parton de l'Estancia.
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Cependant, l'ineffable Graal est farouchement gardé, et nos intrépides concurrents doivent franchir les pires obstacles, surmonter les plus périlleuses épreuves !
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Victoire ! Ils touchent au but suprême ! – Eh bien quoi ? Hésitation dans les rangs ? Quelle peur maligne retient votre ardeur ? Pourquoi hésiter au moment de plonger ?
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Horreur ! L'endroit est en proie à un terrible maléfice, qui a converti le divin Éden en un répugnant court-bouillon d'algues vaseuses.
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Échaudés par cette cuisante déconvenue, on rentre au campement, où Jorge met la dernière touche à la troisième épreuve : « Alors, ce jacuzzi : un vrai p'tit coin de paradis, pas vrai ? ».
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Mais concentrons-nous derechef sur cette nouvelle épreuve, ô combien périlleuse, dite « de la Digestion ou la Mort » ; le matériel est aiguisé, on peut y aller !
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Attaquons d'emblée le premier round de cet asado en cinq sets : tir groupé de saucisses, évoquant agréablement sa lointaine cousine toulousaine ;
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deuxième set : les côtelettes ; Jorge arbitre impartialement ce tournois protéiné, tandis que Pauline pinaille déjà dans son assiette.
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Au bout de la cinquième livre de viande, et malgré l'effet lubrifiant de la Quilmes, les concurrents accusent le coup et récupèrent difficilement.
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A ce stade de la journée, un premier bilan s'impose : Etienne semble encaisser les épreuves avec un certain flegme, quoiqu'un début de congestion empourpre ses pommettes ;
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Nicolas laisse transparaître une évidente fatigue : les traits sont crispés, un spasme fiévreux des sourcils trahit un désagrément intestinal manifeste ;
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Sophie, contre toute attente, conserve un sang-froid redoutable, l'alcool et la cigarette aidant, et révèle des capacités insoupçonnées de cow-girl ;
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Pauline, l'œil vitreux et la mâchoire endolorie, est au bord de la reddition. N'est pas gaucho qui veut !
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Justement, voici que déboule un authentique gaucho, chevauchant un fougueux destrier : il bat le rappel pour les quatrième et cinquième épreuves.
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Les combattants se scindent en deux groupes ; tandis qu'une Pauline éreintée et un Etienne hagard entament une lutte fratricide au Baggamon,...
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...Nicolas et Sophie partent en cavale pour une joute impitoyable dans la plus grande tradition des jineteadas gauchesques.
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Faisant preuve d'une réelle dextérité, Sophie parvient à éviter de peu une sortie de piste qui eut pu se solder par une bien regrettable noyade
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Jorge est un arbitre intraitable, expert dans l'art du déguisement de gaucho ; on lui doit également quelques émouvantes coplas1 évoquant les paysages du Valle de Punilla –

1 Copla = forme poétique populaire, voisine de la romance, dont les vers courts ont des accents assez bravaches, voire véhéments, du moins en Argentine, où elles sont généralement récitées plutôt que chantées, avec ou sans accompagnement.

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ainsi « Le petit pont de bois », qui est un vibrant hommage à une ligne ferroviaire désaffectée empruntant un pont vermoulu ;
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ou encore « Río Grande », qui n'a aucun rapport avec les maigres cours d'eau qui furètent dans le monte hirsute. Quelle imagination, Don Jorge !
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De retour au bercail, on joue cartes sur table pour la sixième épreuve : une partie d'Estanciero1, qui se prolonge jusque tard dans la soirée.

1 Sous le label de "traditionnel jeu argentin" se cache une amusante copie du Monopoly, revu à la sauce rurale des estancieros de la pampa.

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A la nuit tombée, on part faire une virée à San Marcos Sierras, capitale hippie de la Province ; Nico réalise pour vous la très difficile figure du gaucho en ombres chinoises.
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Le lendemain matin, nous retrouvons nos sympathiques concurrents sur la ligne de départ de la septième et dernière épreuve : une randonnée aux Terrones.
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La difficulté ne réside pas tant dans l'exigence physique de ce parcours, dont l'épisode le plus crucial ne va pas au-delà d'une petite échelle rouillée,...
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...et qui pour le reste consiste en une agréable ballade entre de sinistres parois suintantes, dans une pénombre frisquette où l'on s'enrhume à coup sûr,...
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...que dans l'effort intellectuel insoutenable auquel nous soumet notre truculent guide – car au terme d'une petite heure de crapahutage, nous parvenons au pied des fameux Terrones1 ;

1 Terrón{es} = morceau{x} de sucre

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et il faut alors se livrer à une surenchère de visions saugrenues pour reconnaître d'improbables objets dans le contour tarabiscoté des “morceaux de sucre” granitiques ;
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une tortue-luth, un trombone à coulisse, une R12, un maté : chacun rivalise d'imagination pour résoudre les énigmes et améliorer son score.
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« Et là, bien sûr, le modèle original des moaïs de l'Île de Pâques » – ça m'aurait étonné que les Chiliens n'aient pas floué leurs égocentriques voisins...
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Accessoirement, on profite un peu de la vue panoramique sur ce chaos croulant circonscrit par les tranquilles crêtes pelées de la Sierra Chica – petite épreuve subsidiaire d'élocution.
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Finalement, conduits vers la sortie par un ciel qui vire à l'orage, nous amorçons la redescente sous le regard courroucé d'un totem grimacier.
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« Je crôa que l'épreuve est terminée, vous ne crôayez pas ? »
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« Oui, et sans me vanter, je pense que la plus haute marche du podium me revient de droit, car vous reconnaîtrez combien je me suis brillamment illustré ! »
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« Tu rigoles, sac à plumes ? Je vous ai proprement taillés en pièces, c'est indéniable ! »
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« Oh, misère, honte et désespoir, c'est trop d'humiliation ; qu'on me laisse cacher ma douleur ! »
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« Trop dégu', j'suis verte : on m'a retiré dix points pour avoir comparé un Terrón à un morceau de sucre ! »
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« Ça t'apprendra, et tu ferais bien de porter ta crôa en silence, au lieu de crôasser crânement ! »
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« Misère ! Je m'en vais, je m'évade, je disparais : je vais me faire ara-qui-rit en coulisses ! »
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« Nous sommes au pied du mur : plutôt que de crôazer le fer, nous devrions accrôatre nos gains en nous côalisant ! »
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« Moi, de toute façon, je fais du boudin dans mon coin ». Mais cessons toute futile chamaillerie, et fêtons allégrement la défaite collégiale de l'humour –
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ceci étant dit et approuvé, nous débouchons quelques bouteilles pour célébrer notre réconciliation – notre soif ne connaît pas la satiété !
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Allons, c'est assez blasphémé pour aujourd'hui ! Je ne tolérerai pas plus longtemps que l'on offense la gardienne de cette décharge proprette, la Difunta Correa.
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Oui, regardez : dans une petite niche croulant sous les bouteilles, la “Difuntita” repose vêtue de sa traditionnelle robe rouge, tandis que son poupon assoiffé tête le sein.
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Ce sanctuaire particulièrement étoffé est honoré comme il se doit par les passants, qui klaxonnent respectueusement quand ils n'ont pas le temps de s'arrêter pour enrichir la pyramide.
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Le fidèle qui a peinturluré la chaussée pour exprimer sa reconnaissance était sans doute plus soucieux de sauver sa peau que de glorifier l'orthographe.
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Sous ces bons auspices, nous rentrons à Córdoba en coupant par la Serranía de Totoralejo, tandis que la Sierra Chica rougeoie déjà au crépuscule. Attention, le petit oiseau va sortir !

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