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A l'abri d'une petite crique donnant sur le Golfo Nuevo, se niche Puerto Pirámides, unique village de la Péninsule Valdés, ancien port d'exportation du sel reconverti en station balénothérapique.

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Non, non : ça n'était pas une coquille, j'ai bien écrit “balénothérapique” : la modeste plage battue par un vent frisquet, impropre aux bienfaits de la bronzette, se prête plutôt aux harnachements compliqués,...

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...et aux réglages fastidieux, préliminaires obligés à une virée champêtre dans le golfe afin d'y observer, en cet équipage robuste et terriblement tranquillisant, rien moins que des baleines.

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« Alors si une baleine vous fonce dessus, c'est très simple : vous l'intimidez d'un geste ferme et explicite de la main, comme ceci ; dans le cas où cela ne serait pas efficace, souquez ferme ».

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{ « Je suis pas sûr d'avoir bien cerné la part d'humour... Cette petite aventure me semble encore sujette à bien des frayeurs, et de potentielles complications... Dans quelle galère me suis-je encore fourré ?... »}

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Remarquez, c'est pas désagréable, on prend l'air, on se dérouille les épaules, et puis franchement, avouez qu'on se débrouille, non ? Quel punch ! Quelle maîtrise ! Quelle harmonie ! On est doués, il me semble...

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Soudain, grillant une priorité à droite... « Là-bas ! Un aileron ! Une baleine ! Branle-bas de combat ! Tout le monde sur le pont ! A l'abordage ! ». Attendez : et si c'était une vulgaire planche à voile ?

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Un grand splach disperse les doutes : nous tenons notre cétacé ! Oh regardez comme elle est contente de nous voir : elle agite sa queuqueue, elle fait des bonds ! Vas-y Coco, bouchées doubles sur l'aviron ! Sus à la baleine !

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Message de la Prévention Routière : à toutes fins utiles, nous rappelons à notre aimable clientèle que la baleine franche australe possède des dimensions et un poids qui rendent ses effusions de tendresse exemptes de délicatesse.

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Ah oui, tout de même. Remarquez, on la voit tout aussi bien d'ici... A quoi bon importuner cette brave fille ? Je crois que tout bien réfléchi nous allons relâcher quelques minutes et la laisser filer.

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Mais ça n'est que partie remise ! Dans la soirée, nous récidivons de plus belle, en prenant soin de choisir des moyens plus appropriés au gabarit de la proie. Et moins crevants – j'ai les épaules en compote.

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Un petit créneau rondement conduit de main de maître, et notre remorqueur nous dépose entre deux rouleaux, au creux d'une vague qui a vite fait de nous happer vers le large.

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Bien vite, nous doublons le cap éponyme de Puerto Pirámides, dont la silhouette pharaonique domine le Golfo Nuevo. Ses arêtes émoussées ne doivent pas tant à l'érosion qu'aux essais de l'artillerie argentine¹.

¹ Ce fut en effet pendant longtemps une cible privilégiée par l'artillerie lourde de l'Armée Argentine, adepte des recoins isolés qu'offraient alors la Patagonie, pour réaliser des tirs d'essais. On aura l'occasion de reparler de telles stupidités dans le prochain album. Remarquez : l'Armée Argentine n'est plus à ça près, au tableau de ses exactions passées...

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Chacun profite indolemment des joies que procure cette frivole croisière, on se laisse bercer par la bise câline, on s'abandonne aux douces rêveries du roulis. Détente. Oisiveté. Insouciance.

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Enfin, au détour d'une vague, sur qui ne tombons-nous pas ? Cette sacrée vieille franche d'Eubalaena Australis ! Avec son sens accoutumé de la cordialité, la camarade nous donne l'accolade.

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Puis, elle se fige curieusement en position verticale, maintenant hors de l'eau sa queue droite et immobile ; panneau indicateur, ou régulateur de température ? Les théories¹ divergent.

¹ La baleine peut se maintenir ainsi jusqu'à 20 minutes, parfaitement immobile, en apnée, et parfois renouveler les séances durant 1 heure. Deux théories : soit il s'agirait d'un moyen de communication {mais le laps de temps de 20 minutes semble disproportionné}, soit l'exhibition de la queue à l'air libre permettrait de faire diminuer la température de tout le corps {un vrai thermostat}.

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Autre comportement non moins fréquent et controversé, cette manie de taper avec le plat de son appendice fléchi la surface de l'eau, un choc dont les répercutions ondulatoires feraient office de langage.

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Pour les dures d'oreille {ce qui peut se comprendre, puisque les cétacés ont un conduit auditif atrophié}, force est d'articuler plus explicitement le contenu du message ; démonstration.

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Notre athlétique fosbury-flopeuse, prenant appel sur un vigoureux coup de pelle caudal, s'extirpe des profondeurs et se vautre de tout son long sur le flot, les deux fers en l'air.

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La gerbe écumeuse qui en résulte, assortie d'un éclaboussement sonore dont on entend paraît-il les échos jusqu'à un kilomètre à la ronde, sont le plus sûr moyen de se faire clairement entendre¹.

¹ D'autres théories avancent que ces sauts ont pour objectif de débarrasser leur auteur d'une partie des parasites qui lui collent inlassablement à la peau.

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Habilement, notre pilote rallie aussitôt le panache blanc, dont l'insolite jet en V est caractéristique de cette espèce entre tous les cétacés. Quelques secondes d'expiration après 6 à 8 minutes d'apnée.

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Goguenarde, un sourire mutin arquant ses interminables babines, la commère peu craintive se laisse approcher, étouffant sans doute un rire que l'on sait proverbial.

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Mijoterait-elle quelque bonne blague bien de son cru ? Nous nous tenons cois, d'autant plus qu'un baleineau a rejoint son sillage... Pourvu qu'il ne leur prenne pas l'envie de faire la bombe si près de la coque...

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Mais bientôt la coquine refait surface à tribord, après avoir frôlé notre quille, et exhibe sans complexe son mufle bardé de callosités auxquelles sont rivés des centaines de crustacés miniatures¹.

¹ Seules les baleines franches australes possèdent de telles callosités. Leurs formes sont uniques d'un animal à l'autre, ce qui permet l'identification de chaque individu. Ce sont les colonies de crustacés scotchées sur ces callosités qui leur donnent une coloration rosée caractéristique.

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Soudain, un hurlement digne d'un stuka en piqué vient troubler notre primesautière romance, et une mouette surgie de nulle part dégringole en flèche, notre dulcinée dans le collimateur –

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avant que notre amie n'ait pu plonger, l'assaillante lui décoche une rafale de coups de becs sur l'échine, piochant avidement dans son épaisse couche de graisse, éternel objet de convoitise¹.

¹ Sous le centimètre de peau se trouvent en effet stockés de 17 à 40 centimètres d'épaisseur de graisse selon les endroits. Outre les mouettes, somme toute assez inoffensives pour la survie de l'espèce, le principal amateur de cette graisse très oléagineuse {entre autres produits dérivés, tels que fanons, os, cuirs, etc.} fut bien entendu pendant longtemps l'homme, avec les conséquences que l'on sait. Aujourd'hui, la Baleine Franche Australe est protégée par la loi argentine, qui l'a bombardée “Monument National” en 1984. Mais on estime qu'il ne reste aujourd'hui que 4% de la population historique, soit un peu plus de 7000 individus, dont 2500 fréquentent régulièrement les côtes patagonnes.

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Puis elle assaille derechef le baleineau, qui pendant ce temps évoluait dans le giron de maman et en prend plein la tronche sitôt son pif acnéique hors de l'eau.

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Excédé, le tandem s'abîme illico dans l'élément protecteur, et nous restons déconfits à guetter l'onde qui s'évanouit progressivement, fourbissant une rancœur tenace à l'encontre de la mouette.

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Lorsque le dos lustré de notre baleine réapparaît à quelques encablures, il est trop tard pour lui emboîter le pas si près des côtes. Nous faisant faux bond, elle s'en va flirter du côté de Playa Pardelas.

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Un rien contrariés, nous mettons le cap sur le port, espérant patiemment qu'une voltigeuse attardée daigne agrémenter le crépuscule d'un salto de circonstance. En vain.

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Le lendemain. Ayant navigué toute une nuit de cauchemars en compagnie du Capitaine Achab, nous nous éveillons chez la Tante Alice, une auberge frugale mais sympathique.

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Laissant le Pequod en cale sèche, nous gagnons Punta Pirámides, dont nous avions aperçu le profil effilé hier, au moment de sortir en mer. La crique qu'il protège du vent héberge une réserve faunistique notoire.

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Mais les lions de mer, qui d'ordinaire se dorent la pilule sur ce solarium naturel, se sont fait la malle avec la marée haute. Seuls de rares feignasses n'ont pas su saisir l'opportunité.

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A quelques milles de la côte, un face à face, pour ne pas dire un tête à queue, d'une rare intensité s'éternise entre la baleine et ses fans, de longues minutes durant.

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Puis nous nous transbahutons jusqu'à Playa Pardelas, et stationnons modestement à côté des imposants mobile-homes immatriculés outre-Rhin, que nous avions aperçus la veille au soir depuis le bateau.

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Tandis que le coucher de soleil dore sur tranche le paisible rivage, nous baguenaudons sans but précis, cajolés par l'apaisante bise vespérale, à peine viciée par une persistante odeur de Weißwurst persillée.

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« Haïotoho ! », s'exclame-t-on soudain du côté des Mercedes ; et la famille Knacki de galoper furieusement vers la grève, pour saluer l'accorte walkyrie qui vient de faire surface en marche-arrière.

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Nous tenons notre revanche : cependant qu'à l'horizon une barquette de touristes doit vraisemblablement lâcher une bordée de jurons en voyant les baleines leur échapper, nous prenons à revers les fuyardes.

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Guidées par une habitude solidement ancrée dans leur quotidien, elles cabotent à la queue-leu-leu sous nos yeux, troublant le calme ambiant de leur respiration de montgolfière.

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Subitement, le museau inquisiteur d'un lion de mer émerge tel un diable de sa boîte, comme pour faire la circulation – ou le pitre, tant les deux lascars prennent un malin plaisir à feinter les photographes.

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A mesure que le défilé s'égrène vers la lointaine passe qui mène hors du golfe, nous longeons la falaise rougeoyante, peu à peu grignotée par le flot montant.

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Ce promontoire au revêtement lunaire est une aubaine, car son profond dénivelé autorise les baleines à s'approcher au plus près à marée haute ; idéal pour tendre des embuscades –

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ou simplement profiter avec dévotion d'un spectacle vraiment hors du commun, qui se déroule à quelques mètres à peine de soi, une pantomime rythmée par le souffle caverneux des deux géants.

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Tâtant de son rostre grumeleux le flanc de sa mère, le baleineau quémande ses 125 litres de lait quotidiens – fallait-il rappeler que la baleine, comme les lions et éléphants de mer, est un mammifère marin ?

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Né pendant l'hiver austral en plein océan, à l'abri des regards indiscrets¹, le petit est ensuite élevé par sa mère un an durant dans l'enceinte protectrice du golfe, d'où il repartira au printemps.

¹ Il est surprenant de savoir qu'aucun accouchement de baleine franche n'a jamais pu être observé !

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On le tient enfin ce coucher de soleil avec baleine intégrée ! Reste plus qu'à l'encourager... Allez, saute ! Mais saute-donc à la fin ! – Je crois qu'il faudra se contenter d'une “Épave de Cuirassier, Soleil Couchant”.