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Mémé Clémentine chevauche dans les Altas Cumbres de la Sierra de Córdoba, solidement ramassée sur la croupe affaissée de sa vieille rosse, suivie de la troupe patibulaire de ses clébards faméliques.

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Mémé Clémentine n'est pas contente, et fulmine contre tout et rien, foudroyant de son regard torve le photographe indiscret. Mémé Clémentine blasphème hardiment, car une de ses vaches est perdue.

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Bons gars, nous nous proposons de lui prêter main forte – « nous », c'est la fine équipe de joyeux randonneurs du dimanche. Mémé Clémentine pépie et jacasse, haranguant son troupeau de boy-scouts.

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Enfin nous y voilà ! Mémé Clémentine exulte et peste, nous désignant la fautive : une brunette coincée dans le ravin, à plusieurs mètres sous le promontoire où nous nous trouvons.

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Impossible de savoir comment la garce s'est foutue dans ce bazar ; pas possible non plus de l'en dégager ; nous ne sommes pourtant pas avares de suggestions : « et si on l'hélitreuillait ? », propose Javier notre guide.

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« – On peut pas plutôt envoyer un de ces malheureux clebs pour la guider vers la sortie, j'ai vu faire ça dans Rintintin », propose Nico ; « au pire, un bon coup de crocs dans le jarret, ça la fera se remuer la croupe ! »

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« – Non mais ça va pas ? J'ai une gueule de berger allemand, peut-être ? Et ma grand-mère c'est Lassie, tant qu'ty es ? Non merci : t'iras te la chercher tout seul, ta Vache qui Rit dans le ru ! »

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Après cet intermède infructueux, nous laissons la vache à son triste sort et Mémé Clémentine à ses terribles imprécations, et nous poursuivons notre rando jusqu'à son but : la Quebrada del Yatán.

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De même que les quebradas¹ du Condorito et du Malambo, celle du Yatán entame le flanc oriental du massif des Altas Cumbres. A l'horizon, la silhouette de l'autre chaîne cordobaise : la Sierra Chica.

¹ Quebrada = faille, gorge.

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Branle-bas de combat ! Tous à vos jumelles ! Tagada-tsoin-tsoin : le défilé du 25 de Mayo commence, et les premiers escadrons des Fuerzas Aereas Argentinas passent en rase-mottes au-dessus de nos têtes ;

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lourd et puissant tel un B-17, avec son envergure record¹ pouvant atteindre les 3,5 mètres chez l'adulte, ce condor plane comme immobile, ouvrant le bal inespéré de ces volatiles fugaces.

¹ Le record de l'envergure la plus large est détenu par l'Albatros Hurleur {3,70m} ; le condor se classe en deuxième position. Une telle envergure implique que le condor ne peut replier ses ailes, ni les mettre en branle très aisément, et encore moins décoller instantanément ; au sol, elles sont donc un handicap notoire et le rende vulnérable à ses prédateurs {le puma principalement}.

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La gorge bombée des provisions qu'il emporte pour deux mois, constituées lors d'une récente curée, et l'échine déformée par le poids d'un tel butin¹, l'aristocratique charognard est aussi majestueux qu'un Airbus Beluga !

¹ Pouvant rester 2 mois sans manger, le Condor vit sur les réserves de ses festins, qu'il déglutit et conserve dans une poche interne, au niveau de sa gorge ; sorte de ruminant aérien, il peut ainsi embarquer 4 kilos de viande, pour un poids propre de 11 à 15 kilos !

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Les serres ballantes, celui-ci a sorti le train d'atterrissage ; contrairement à une légende persistante, il est incapable de saisir une proie, et encore moins de l'emporter ; elles ne sont bonnes qu'à triturer les charognes.

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Espèce menacée tout au long des Andes, y compris dans les pays andins dont il est l'emblème, el condor pasa quand même par la Sierra de Córdoba, partie la plus orientale de son aire de distribution.

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Ah le salop ! Il a voulu nous conchier ! – Pardon, au temps pour moi, ces excréments sont ceux d'un puma ; l'animal rode dans la sierra, farouche et furtif, fuyant l'homme et guettant le cuis assoupi.

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Un peu estourbis d'avoir fait la girouette aussi longtemps pour admirer le plus noble des vautours, nous reprenons le fil de notre randonnée, faisant halte sous le tronc écorché vif de cet arbre –

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il s'agit d'un tabaquillo, ou “petit tabac”, qui doit son nom à la texture friable de son écorce, évoquant le papier à cigarette et possédant d'ailleurs des vertus ignifuges remarquables.

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En fond de quebrada, un belvédère offre une vue plongeante sur les acrobaties du Río Yatán, qui dégringole du massif en une succession de cascades fluettes et de bassins ténébreux.

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Guère moins fluette et tout aussi ténébreuse, une truie nous interpelle sur le chemin du retour ; de l'avis général, nous taillerions volontiers le bout de gras, chère demoiselle !

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Devinant nos mauvaises intentions, et incapable de différencier un appareil photo d'un couteau de charcutier, la belle s'effarouche lorsque Nico s'approche, puis se laisse aborder faute de pouvoir se dépêtrer.

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Un bêlement furibond nous rappelle à l'ordre ; les oreilles au garde-à-vous, découpées comme les paragnathides d'un casque romain, une biquette de caractère nous rappelle à l'ordre.

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De l'autre côté du muret s'étend la cour d'une ferme, tapissée de crottes de bique, et sur ce tapis molletonné les auteurs desdites crottes se prélassent, chaque maman avec son petiot.

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« Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette... » Nico a beau interpréter un répertoire insoupçonné de grimaces alambiquées, la bête garde un calme olympien et manque de peu de nous rendre chèvres !

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A proximité, d'un enclos de pierres fermé d'un portillon métallique émane un piaillement incessant de petits ricanements hystériques : il héberge une ribambelle de chevreaux effrontés et malicieux.

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Ils s'en donnent à cœur joie dans cette crèche à ciel ouvert, sautillant ici, caracolant là, échangeant coups de boule et ruades, dans un concert de bêlements dignes d'une cour de récréation.

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Certains, recroquevillés, le regard inquiet, boudent les rodomontades des petits caïds et se tiennent cois ; eux savent bien qu'au pays des sanglants asados hebdomadaires,...

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...la légende de la Chèvre de Monsieur Seguin est une vaste blague, et les histoires de loup c'est du pipeau ! Le danger, bien réel, vient du berger, de la bergère, et de ces ogres omnivores que sont les Argentins !

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Car non loin de ces idylles trianesques, une vieille cabre est passée sur le billard, et après une trépanation ratée on tente en vain la greffe de peau. Les mioches ont le cœur bien accroché –

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ce qui n'est pas le cas de la patiente, qui dégueule ses excréments dans une diarrhée aussi fulgurante qu'inappropriée. Il en faut plus pour dégoûter les bourreaux {mais c'est peut-être assez pour vous ?}.

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Pendant ce temps, on a bradé les effets personnels de la défunte : garde-robe luxueuse, pour toutes les saisons, très peu portée. Reconvertible en housses pour la R12, si le cœur vous en dit.

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Un peu sonné par ce spectacle inadapté à son jeune âge, biquet chancelle au milieu du bivouac. Quant à nous, après une lampée de maté, nous prenons congé. Ce soir, ça sera cabrito chez Alcorta¹ !

¹ L'une des meilleures tables de Córdoba Capital.