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“La découverte du Chili”

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Tout commence par quelques centaines de kilomètres de fastidieuses lignes droites, pimentées de loin en loin par le dépassement de quelque camion assoupi.
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Et puis bientôt, au cœur de la Rioja, les premiers reliefs, timides mais déjà exotiques, de la Sierra de los Colorados.
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Les 100 kilomètres suivants de ligne droite longent de vastes oliveraies, principale production agricole de la Rioja avec le vin et les noix.
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Écrasé de chaleur, voici Chilecito, qui nous retient quatre heures durant, sans que nous ayons particulièrement profité de ses nombreuses options touristiques ; bien au contraire,...
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...ce sont deux bidons d'essence percés qui ont eu raison du chronomètre : après des transvasements à répétition en divers points de la bourgade, nous repartons avec le rescapé sur le toit et trois jerricans dans le coffre.
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Tranquillisés, mais anxieux de clore l'étape avant le crépuscule , nous filons dare-dare sur les routes de La Rioja puis de Catamarca, dont l'horizon se hérisse de reliefs embrumés.
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C'est pas qu'on s'ennuie, mais... Attendez : vous connaissez pas la dernière ? Avec la chaleur et l'altitude, notre bidon d'essence a fait de l'aérophagie et se vidait de son contenu ;
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nous avons dû l'abandonner dans le premier bled ; 20 litres d'essence en moins ; ça devient inquiétant ; et le temps qui se gâte, on dirait ; et cette route qui n'en finit pas... Quelle galère !
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Enfin, nous arrivons à Fiambalá, dernier village avant d'attaquer les Andes ; bonne nouvelle : ce panneau promet du combustible à “Las Grutas”, le poste frontalier, d'ici 176 km !
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Malgré l'heure avancée, nous entamons l'ascension, en pente douce, louvoyant entre des pans de roche dont les strates frôlent la verticale ;
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prodigieux soulèvement tectonique ou érosion facétieuse, allez savoir – nous remettons le débat à plus tard car pour l'heure les ombres s'allongent et nous songeons à trouver un gîte.
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Et le fait est que bientôt la nuit tombe ; nous élisons demeure dans un minuscule refuge en bordure de route, et dînons à l'éblouissante clarté de la Lune ;
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puis nous nous retranchons dans notre niche au toit de tôle, que nous avons investie avec armes et bagages.
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Le petit matin nous trouve un peu groggy, la mine hagarde, en tout cas déboussolés par le spectacle environnant, insoupçonné en raison de notre arrivée nocturne ;
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aux énigmatiques ombres chinoises de la nuit succède cette vallée déconcertante, aussi plane et râpée qu'une biscotte ; un vaste plateau, à 3500 mètres d'altitude,...
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...bordé de replets massifs élimés aux entournures ; et ça culmine à 5000 mètres ces meringues avachies, ces soufflés retombés??
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Avouez que ces biscuits à la cuillère surnageant dans une crème pâtissière qui s'est fait la malle incitent à filer la métaphore gastronomique : vous n'avez jamais raté le démoulage d'une charlotte ?
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A l'image encore de ce glaçage imparfait, et du nappage acidulé omniprésent, tout ici évoque les reliefs de quelque gigantesque goûter d'anniversaire.
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Non mais franchement : ils sont où les lacets ? qui a comblé les précipices ? et remblayé les gorges, limé les à-pics, émoussé les sommets inaccessibles ? c'est les volcans d'Auvergne ici, ou quoi ? Et l'Autoroute du Soleil ?
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Ah ! Un petit virage ! Et en remblais, en plus – nous sommes comblés ! La route, ce faisant, se taille un passage dans la purée volcanique.
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Et voilà qu'on retombe dans la pâtisserie : tarte au citron meringuée, à présent !
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Et un petit sujet en plastique est fiché entre deux volutes de meringue, comme sur une bûche de Noël ! C'est-y pas beau ?
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Cette coulée de stalagmites, que les pieux esprits associent à un cortège de penitentes, a été sculptée par un vent aussi incisif qu'inlassable.
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Peu à peu, nous voyons les choses sous un angle plus serein et commençons à apprécier ce paysage insolite, bien loin du modèle alpin que nous avions en tête. {Le sommet à l'arrière-plan est l'Incahuasi, 6621 m.s.n.m. ; on en verra d'autres photos dans les diapos suivantes.}
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ici, tout est dilaté : la vallée plane à 3500 mètres d'altitude {d'où le terme “Altiplano”}, et les montagnes, soulevées dans la foulée de la surrection andine, atteignent les 6000 mètres sans se donner la peine de monopoliser l'horizon ;
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les sommets affichent ainsi une silhouette ramassée, clairement délimitée, souvent isolée, qui ne se perd pas dans une chaîne alpestre à la promiscuité déboussolante ;
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ainsi, ce splendide volcan trône majestueusement à 6621 mètres d'altitude, et répond au toponyme d'Incahuasi, “Maison de l'Inca” en quechua ; mais si les Incas ont disparu, le volcan, lui, reste actif !
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Autre volcan actif, d'un gabarit plus imposant et complexe : le Ojos del Salado {“Yeux de Sel”} est, depuis les dernières mesures effectuées en 2007, le plus haut volcan du monde avec ses 6891 mètres !
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Mais ces volcans un peu m'as-tu-vu ne sont pas légion : beaucoup plus nombreux sont les bourrelés maculés de tâches vineuses, d'auréoles jaunâtres, ou de traces de cambouis.
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Quant au “glaçage”, qui ponctue de façon récurrente les flancs rosés, il n'est pas sucré mais salé – devions-nous le préciser ?
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Mais trêve de descriptions nauséeuses {ça doit être le mal de l'altitude} : nous arrivons à Las Grutas, le poste frontalier argentin, au pied du Nevado de San Francisco {6020 mètres} ;
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sous l'œil toujours vigilant de l'Incahuasi, pot autour duquel nous tourons depuis une bonne heure, nous faisons une halte paperassière ;
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nous passons un bon quart d'heure dans les locaux, ballottés entre la Police criminelle, les Migraciones, et la Douane ; tout est en règle – et on n'est pas Chiliens – alors on ne nous embête pas davantage.
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A quelques mètres de là, un taudis-service propose le carburant promis il y a 176 km, au prix fort : les lamas ne font pas concurrence ! On vous laisse manœuvrer, les gars ; nous, les transvasements, on a déjà donné à Chilecito !
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On en profite pour vérifier que nos précieux jerricans se portent bien, soigneusement emmaillotés dans leurs sacs-poubelles ; vous noterez l'extincteur flambant neuf : on est des pros, nous.
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Un petit coup d'œil rapide également sur la banquette arrière pour vérifier que le bordel est toujours bien en bordel ; c'est qu'avec les jerricans, il a fallu libérer de la place dans le coffre...
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Et on repart, dans la joie et la bonne humeur, désormais livrés à nous-mêmes dans le no-man's-land qui sépare Argentine et Chili.
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Un troupeau de clandestins tente d'ailleurs une traversée en force de la frontière – blague à part : ce sont nos premières vigognes, peu désireuses d'entamer la conversation.
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Votre attention s'il vous plaît {laissez les vigognes gambader dans leur coin} : voici la frontière internationale, au lieu dit du Paso de San Francisco, un col à 4726 mètres d'altitude.
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L'amicale chiléno-argentine des joueurs de belote célèbre l'improbable amitié des deux peuples,...
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...tandis que côté chilien on glorifie la mémoire du fameux adelantado Diego de Almagro, qui “découvrit” le Chili à la tête d'un corps expéditionnaire, après avoir franchi ce même col en 1535.
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A présent, venons-en au grand débat qui nous a occupés pendant une bonne heure : l'eau de cette lagune est-elle verte, ou bleue? {ceux qui répondront « turquoise » sont des lâches}
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La dénomination “Laguna Verde” devrait trancher, mais je reste sceptique ; une chose est sûre : nulle retouche, ni filtre abusif, ni pollution au Tahiti Douche : la couleur est authentiquement incroyable !
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Son origine ? Des fragments sédimentaires de cuivre, en suspension, brassés par le vent virulent, se joueraient de la lumière du soleil à la manière d'un kaléidoscope.
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La lagune est le terminus d'un vaste complexe endoréique, et comme tel ses eaux stagnantes tendent à se cristalliser : ses berges peu à peu sont phagocytées par des salines blanchâtres.
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Dominant le tout, le cône harmonieux du Volcán Negro {je vous épargne la traduction, encore que, personnellement, j'aurais plutôt penché pour marron que noir ; mais bon... les goûts et les couleurs...}.
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Autre curiosité : ces thermes en plein air, aménagés à la manière de petits jacuzzis ; malgré le paravent de pierres, le vent terrible nous dissuade de faire trempette dans cette eau tout juste tiède.
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BOUH !
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Ah ah, je vous ai bien eus ! Pas eu trop peur ? Bon, ok, désolé, c'est de mauvais goût ; n'empêche, c'est vache, ce qui leur est arrivé – oh oh oh...
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Bon, bref, c'est pas tout ça, mais on a encore de la route à faire – laquelle, entre-temps, de macadamisée qu'elle était, est devenue piste en terre,...
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...et joue à saute-mouton avec les cours d'eau asséchés, que nous franchissons à coups de “badenes”, déclivités brutales descendant à même le lit ;
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ces dos d'âne à répétition, à l'instar du relief spasmodique, viennent troubler la quiétude de la Puna, et l'assoupissement du conducteur.
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Le paysage, toutefois, réserve quelques reliefs plus insolites, comme cette barrière rocheuse copieusement effritée,...
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...ou ce Río Lama, niché dans une gorge, qui coule tel deux pots de peinture renversés au milieu d'un paysage monochrome ;
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son flot impétueux et ses eaux colorées, se frayant hardiment un passage dans la roche, ne sont que vaine esbroufe –
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au terme d'un delta déliquescent qui a tôt fait d'épuiser son débit dans une platitude infinie, les bribes du torrent viennent mourir dans la désolation blanchâtre du Salar de Maricunga.
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Frôlant nous-mêmes la léthargie, nous bivouaquons d'une tranche de pâté, prostrés dans notre auto pour nous abriter du vent irascible qui règne sur le désert environnant.
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Oui, vous aurez remarqué que nous avons soigneusement repeint la voiture d'une couche de plâtre jaune, particulièrement tenace, séquelle d'une accélération malvenue dans un banc de sable.
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Résolus à mettre le nez dehors, le vent se révèle plutôt frisquet et requiert une petite laine pour ne pas finir congelés,...
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...mais dans cette tourmente frénétique enfiler sa polaire est une sacrée paire de manches,...
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...un exercice périlleux qui réclame toute l'agilité d'un torero – exercice dont Nico se tire avec un certain brio.
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Puis nous gagnons le sud du salar, où l'eau douce livre une lutte acharnée contre le sel, se frayant un passage vers la Laguna de Santa Rosa.
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La Laguna elle-même est fendue par une plaque de sel aux contours aiguisés,...
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...et les sédiments minéralogiques qui recouvrent les hauts-fonds nuancent le vert profond de teintes plus claires.
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Le vent, toujours aussi terrible, ride la surface de l'eau, et avive ainsi le miroitement des infimes particules en suspension.
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Les berges de la lagune offrent un exemple de la végétation chétive qui seule s'acclimate à de pareilles altitudes.
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En toile de fond se dresse le cratère béant du Cerro Pastillo {et on aperçoit juste devant la petite cahute où nous avons fait halte précédemment, et enfilé nos polaires} ;
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plus à l'ouest, deux des trois “croix” qui donnent leur nom au Parc National Nevado Tres “Cruces” où nous nous trouvons.
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Nous quittons le Salar de Maricunga par l'un de ses affluents, le Río Astaburuaga, et nous nous engageons dans une vallée plus étroite.
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Non, vous ne rêvez pas : il s'agit bien d'une ligne électrique, qui alimente mines, refuges et postes douaniers éparpillés dans ces immensités désertiques.
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Bassin de réception, chenal, cône de déjection : c'est tout le vocabulaire du torrent qui me revient à l'esprit, rescapé de fastidieux cours de géomorphologie.
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Nulle certitude en revanche pour ce qui est de ces revêtements marmoréens : sédiments, affleurements cuivrés, pigmentation minérale?
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Quoi qu'il en soit, ces reliefs aux nuances ocres saupoudrés d'une généreuse pincée de sel évoquent faussement des dunes de sable.
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Bientôt, le Río Astaburuaga se jette dans la Laguna del Negro Francisco1, qui sommeille au pied du Volcán Azufre {ou Copiapó} et de la cyclopéenne mine d'or qu'il renferme.

1 Cette lagune est en fait composée de deux bassins séparés par un cordon d'alluvions ; le bassin oriental est salubre, abrite un riche écosystème, et c'est celui qui apparaît au premier plan sur cette photo ; le bassin occidental, en revanche, ici caché par le cordon d’alluvion, possède une très forte salinité hostile à toute forme de vie ; par un étroit chenal, le bassin salubre alimente faiblement le bassin salin, en léger contrebats. La carte satellite est éloquente – n’hésitez pas à explorer le cartouche ci-dessous.

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Les abords de cette lagune, elle-aussi phagocytée par le sel, sont le terrain de jeu privilégié des vigognes ;
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ce parent aristocratique de la famille des camélidés, plus racé que le lama, est très prisé pour la qualité de sa fourrure, ce qui en fait une espèce menacée d'extinction, aujourd'hui scrupuleusement protégée ;
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d'où la suffisance et le dédain qu'affichent certains individus particulièrement effrontés – « Eh ! t'as perdu ta bosse, espèce de vieux chameau ?! » ; non mais...!
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Non moins dorlotées, trois espèces de flamants roses cohabitent dans la pataugeoire : flamants des Andes, flamants du Chili et flamants de James ; pour les différencier,...
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...vous pouvez toujours courir ! Ces bestioles-là s'effarouchent au moindre bruit de pas, au moindre cliquetis de téléobjectif.
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En marge de la lagune se tient le quartier général des gardes-parc, épaulé d'un grand refuge ; le parking n'attend que nous, nous ne serons pas les uns sur les autres !
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Et ça n'est pas plus mal, étant donné les conditions sanitaires restrictives : un grand bidon de flotte glaciale pour vaquer aux divers tâches ménagères {cuisine, vaisselle, chasse d'eau, etc.}.
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Quelle soirée délurée ! Dans ce cadre chaleureux, nous aurions ripaillé de bon cœur et festoyé gaiement, n'était le mal de l'altitude qui accable mon pauvre acolyte à 4100 mètres d'altitude.
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Pour soulager maux de tête et nausées, nous filons au lit en vitesse, tandis que le crépuscule couve l'usine à lingots... De quoi nourrir nos rêves !
Le périple « Des Andes à la Lune » n'est pas terminé ; poursuivez l'aventure !

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