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“Réminiscences cordobaises”

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Neuf heures sonnent au clocher de la cathédrale, et le carillon limpide résonne dans le ciel indigo d'une splendide matinée automnale. Les trompettes de l'Apocalypse ne broncheront pas cette fois-ci. Quelques pigeons, troublés par ce succinct vacarme, s'en vont déféquer ailleurs.
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Sur la Plaza San Martín, cœur historique de la cité {comme de tant d'autres}, les passants n'ont pas ce pas pressé qui résonne sur les trottoirs portègnes de Microcentro ; ici, à Córdoba, une tiède indolence règne.
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C'est d'ailleurs sans doute un manque de considération pour les vicissitudes du temps qui a longtemps laissé les Cordobais indifférents à la dégradation de leur patrimoine. En témoigne ce cliché rétrospectif pris en 2008...
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Mais pour célébrer dignement le Bicentenaire de la Nation, l'édifice se devait de recouvrer tout son lustre en 2010 ! Un nettoyage approfondi et un bon coup de badigeon saumoné lui ont redonné bonne mine. Ce brave Jéjé brille comme un sou neuf.
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La cathédrale de Córdoba est un authentique joyaux de l'architecture hispano-américaine, quand bien même son style bigarré, fruit d'une gestation pluriséculaire, lui donne un petit côté pièce-montée ; fronton classique, tours pleines de volutes baroques, dôme exubérant aux cocasses clochetons...
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Autant de vaniteux atours qui n'étaient sans doute guère du goût de l'austère Fray Esquiú, quoiqu'avec sa dégaine médiévale l'évêque franciscain ait été un bel anachronisme à la fin du XIXème siècle...
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En face, le Général San Martín {maçon notoire} semble indifférent au salut que lui adresse le religieux – son bras impérieux exhorte une armée de fantômes à marcher sus aux Andes pour bouter l'Espagnol hors du Chili et des Amériques.
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Opposant une retenue très classique aux injonctions du Libertador, la façade du cabildo trahit architecturalement le manque flagrant d'enthousiasme avec lequel les notables reçurent la nouvelle de la Revolución de Mayo, en 1810...
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Sous les arcades, les camelots et autres orateurs publics de jadis ont été priés d'aller déclamer leurs boniments ailleurs ; de nos jours, l'endroit est généralement dévolu aux touristes – les autochtones y goûtent une ombre furtive au moment de traverser la place.
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Et pour ce qui est de la camelote, on trouve désormais son bonheur à l'esquina1, point de départ de la “Peatonal”, réseau de rues piétonnes livrées au commerce illégal et à la mendicité – toutes activités bon enfant, en dépit des récriminations des enseignes qui y ont pignon sur rue...

1 Esquina = angle de rues

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Le brouhaha vous assomme ? Revenons sous les arcades. Vous pourrez profiter du calme inébranlable d'un petit musée fort soporifique, qui expose de pi{t}eux souvenirs des Malouines. Le mobilier miteux a sans doute aussi fait la guerre.
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Non moins allègre, voici la Commission Provinciale de la Mémoire, sise dans la discrète ruelle qui sépare le cabildo de la cathédrale – si discrète que personne ne soupçonna jamais que durant la dernière dictature on s'y livrait aux pires ignominies ;
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sur le mur extérieur, une grande empreinte digitale stylisée énumère les noms des innombrables victimes qui furent livrées à d’infâmes tortionnaires entre ces murs, de 1976 à 1982, avant d'être soumises à une disparition systématique.
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Trente ans après, le sort cruel et mystérieux de ces dizaines de milliers de Desaparecidos continue de hanter la mémoire collective, et d'alimenter nombre de polémiques nationales et de tragédies familiales.
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Aujourd'hui, les principaux responsables de la Junte criminelle sont derrière les barreaux, après une aberrante succession d'amnisties et de procès à rallonges... Le mot d'ordre des nouvelles générations est sans appel : « ¡Nunca Más1! »

1 Nunca Más = jamais plus.

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“Jamais Plus” non plus, la Guerre des Malouines ? Ça reste à voir... A en juger par les ratiocineurs qui s'installent régulièrement au pied de cette pancarte, en face de l'église Santa Catalina de Siena, je doute que la hache de guerre soit enterrée pour tout le monde...
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En vis-à-vis, adossé à la cathédrale, Don Jerónimo Luis de Cabrera, fondateur de la ville en 1573, recueille toujours les hommages des autorités les jours de fête {et des pigeons les jours ordinaires} – le vent indigéniste ne souffle pas encore trop fort sur les villes du Centre...
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Comme toutes les cités espagnoles des Indes, Córdoba compte avec le minimum monastique requis : les principaux ordres recevaient un solar1 pour y élever leur couvent et leur église. Voici la façade néo-classique de l'église des Franciscains, achevée en 1813.

1 Solar = un quart de cuadra {pâté de maison}, soit un quart d'hectare.

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A quelques cuadras, nous flashons sur les coupoles clinquantes de la basilique des Dominicains, plusieurs fois détruites par les débordements à répétitions de la Cañada {que nous verrons plus loin} ; cette ultime mouture un rien kitsch date de 1861.
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Nettement plus intéressante et fraîchement repeinte, voici Santa Teresa, baroque et désaxée, inaugurée en 1758. Le couvent attenant des Carmélites Déchaussées abrite le somptueux musée d'art religieux Juan de Tejeda.
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Enfin, dernière étape de notre parcours monacal {qui fait l'impasse sur bien d'autres églises}, voici la plus ancienne et la plus estimable de toutes : celle de la Compagnie de Jésus, érigée en 1674 dans la Manzana où les Jésuites avaient leur illustre collège.
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Mais derrière sa façade ostensiblement rustique, le temple cache un intérieur stupéfiant. Le plafond en coque de bateau inversée est saisissant de luminosité : entre les membrures dorées à l'or fin, des motifs floraux évoquent la selva du Nordeste où les Pères avaient plusieurs missions.
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Le regard s'absorbe ensuite dans l'éclat nacré du retable où San Ignacio et ses principaux disciples semblent provisoirement figés dans un 1-2-3-Soleil plutôt que banalement statufiés, tant leurs poupées sont confondantes de réalisme. Splendeur d'un ordre qui fit de Córdoba, sa capitale australe, La Docta1.

1 La Docta = “La Docte”, surnom usuel de Córdoba, en raison de son prestige universitaire toujours vivace.

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A présent, une once de divertissement profane ne serait pas de refus, n'est-ce pas ? Que diriez-vous d'une soirée au Teatro del Libertador ? La programmation ne rivalise que de très loin avec celle du Colón1, mais la sympathie d'un public assez jeune est acquise d'office !

1 Teatro Colón : opéra de Buenos Aires, une des grandes scènes mondiales.

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Sinon, le Parque Sarmiento offrira sensations fortes et promenades romantiques, encore que les adjectifs soient un peu excessifs. Signalons tout de même que cette grande roue sortit jadis des ateliers Eiffel, et constitua en son temps un sujet bien compréhensible de fascination.
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Bien – je vous laisse ; je vais prendre un peu le frais au bord de la fameuse Cañada, qui croupit plus qu'elle ne coule ; fini les crues dévastatrices d'antan. Allez, allez : filez ! Córdoba a encore bien d'autres charmes, moins monumentaux, à vous révéler ; sachez les dénicher – mais prenez garde à ne pas trop vous attacher...

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