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Quelques précisions
L'Argentine possède une histoire similaire en de nombreux points à celle des États-Unis – le sort ingrat réservé aux “peuples originels” (
Pueblos Originarios) en est un exemple (le
melting-pot européen et la guerre de sécession en sont deux autres). A l'inverse de ses voisins la Bolivie ou le Paraguay, dont les fortes proportions de population indigène ont fini par faire entendre leur voix, en Argentine le sort des descendants des peuples décimés par les conquistadores reste largement méconnu, voire méprisé. En cause, la construction de la Nation argentine sur des critères européens modernistes, au XIX
ème siècle, et la concomitante conquête des deux territoires indigènes de Patagonie et du Chaco lors de campagnes militaires génocidaires.
La plus fameuse de ces expéditions demeure la Campagne du désert : tandis que les premiers colons gallois implantés en Patagonie à Puerto Madryn et Rawson s’efforçaient de développer de bons rapports avec les indigènes, les Portègnes en avaient déjà décidé autrement : instiguée par le Président Nicolás Avellaneda, et conduite par le Ministre de la Guerre (et futur Président) Julio Argentino Roca, la Campagne du Désert (dont le seul nom niait tout simplement l’existence d’hommes en Patagonie !) entreprit de résoudre les quelques conflits occasionnés par les tribus du sud de la Province de Buenos Aires (et de satisfaire l’avidité foncière de l’aristocratie argentine) en déclenchant une campagne d’extermination des indigènes sur l’ensemble de la Patagonie, de 1879 à 1884.
Aujourd'hui, l'héritage indigène n'est pas pour autant éteint, et de nombreuses communautés montent au créneau pour réclamer leurs droits, que ce soit les
Diaguitas qui ont longuement lutté pour récupérer l'exploitation touristique de la cité préhispanique de
Quilmes, au nom du respect de leur patrimoine “national”, ou les
Mapuches qui opèrent de violents coups de mains pour récupérer leurs terres ancestrales, dans la province patagonne de Neuquén (la famille Benetton en a fait les frais il y a quelques années) ; voir à ce propos notre Vie de
Ceferino Namuncurá.
A côté de ces actions d'éclat, le sort des “
negros”, comme on les appelle communément, est généralement plus terne, tel celui réservé aux
Wichis (ou Tobas) ; ces populations du Chaco oriental souffrent actuellement du « boom du soja » ; les
estancieros (grands propriétaires agricoles) rachètent toute terre susceptible de convenir à la culture du soja – les Wichis vendent leurs maigres parcelles et migrent dans les banlieues sordides des grandes villes du
Litoral (Reconquista, Santa Fe, Rosario, Buenos Aires) en quête d'une reconversion urbaine qui les laisse généralement sur le carreau.
Dans la province de Jujuy, plus largement indigène, le sentiment identitaire semble plus affermi, et surtout plus respecté par les autorités provinciales et fédérales. Peut-être grâce au tourisme, qui se nourrit de clichés exotiques introuvables à Buenos Aires...
De façon générale, les revendications se cristallisent autour de deux
casus belli : les billets et le 12 Octobre. En ce qui concerne les effigies fiduciaires, les Peuples Originels vivent très mal le fait que la plus grosse coupure (100 pesos) soit consacrée à la glorification du General Roca (recto) et de la génocidaire Campagne du Désert (verso) ; même rejet de la seconde plus grosse coupure, celle de 50 pesos, dédiée à Sarmiento, illustre Président de la Nation du XIX
ème siècle, convaincu que l'avenir de l'Argentine passait par la modernisation de sa société, et que cela impliquait l'assimilation soutenue des indigènes et des
gauchos, rebuts de la modernité. Quant au billet de 20, on ne pas dire que Juan Manuel de Rosas soit particulièrement en odeur de sainteté auprès des défenseurs des Droits des Peuples, et de l'Homme en règle générale.
En ce qui concerne le 12 Octobre, il s'agit du Día de la Raza : jour férié dans la plupart des pays d’Amérique hispanique, et en Espagne même, il commémore le 12 octobre 1492, date de la “découverte” de l’Amérique par Christophe Colomb. Cette fête a été inventée en 1913, par le Président de l’Union Ibéro-américaine, dans le but de renouer des liens cordiaux avec l’ancienne métropole, l’Espagne, diabolisée par ses anciennes colonies durant tout le XIXème siècle, et de se démarquer ainsi de l’influence nord-américaine grandissante (un pied-de-nez à la Doctrine Monroe) en exaltant la “race” hispanique. Cette date fut rapidement adoptée par de nombreux pays, notamment l’Argentine en 1917 et l’Espagne en 1918.
De nos jours, le terme “race” est évidemment désuet et politiquement incorrect, raison pour laquelle de nombreux pays l’ont soigneusement remplacé : ainsi en Espagne, où le terme « Hispanité » a remplacé celui de « race » en 1958 avant de devenir plus classiquement « Fête Nationale » en 1987 ; au Chili, on parle depuis 2000 du « Jour de la Découverte de Deux Mondes ». Plus audacieux, dans le Venezuela “bolivarien”, on célèbre depuis 2002 le « Jour de la Résistance Indigène » ; de même au Nicaragua ; quant à la Bolivie, elle inaugure en 2011 le très virulent « Jour de la Décolonisation », dont les ambitions ne sont peut-être pas très réalistes... C’est dans ce même esprit qu’une craie vindicative s’est emparé de l’ardoise que nous avons
photographiée à Puerto Pirámides, pour y glorifier non pas le 12 (demeuré « Jour de la Race » en Argentine jusqu'en 2010) mais le 11 octobre 1492 : « dernier jour de liberté indigène latinoaméricaine » ! Depuis, le décret présidentiel 1584/2010 du 3 novembre 2010 a solennellement adopté la nouvelle terminologie de “Jour du Réspect à la Diversité Culturelle” (
Día del Respeto a la Diversidad Cultural).
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