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Quelques précisions
Gloire et désaveu d'un ordre missionnaire
Fondée en 1534 à Montmarte (Paris) par Saint Ignace de Loyola (
San Ignacio), la
Compagnie de Jésus (alias les Jésuites) n'est pas le seul ordre catholique à s'être implanté dans l'Amérique coloniale espagnole. C'est même l'un des derniers en date de la première vague de missionnaires surgie dans la foulée de la Découverte puis de la Conquête, après Franciscains (dès 1502 – voir
Yaguarón), Dominicains (1510), Mercédaires (1519), Augustins (1533) – mais avant les
Salésiens débarqués beaucoup plus tardivement (XIX
ème siècle), puis les missions évangéliques contemporaines venues des USA ou de Corée (XX
ème et XXI
ème siècles). Il faut toutefois reconnaître que les Jésuites ont laissé une empreinte particulièrement profonde dans l'Histoire et dans l'Imaginaire occidentaux, au-delà de la récente publicité qu'ont pu en faire le film
Mission de Roland Joffé (1986) ou l'élection du pape François (2013), rejeton argentin de l'ordre.
Cette renommée, ils la doivent à la vigueur toujours actuelle de leur ordre (les effectifs les plus importants du monde catholique, si l'on ne fusionne pas les différents courants franciscains), à leur histoire rocambolesque (où alternent splendeur et disgrâce, utopie et realpolitik, aventures prodigieuses et menus conciliabules), à leur réputation de grands intellectuels et ingénieurs (intégrer la Compagnie requiert des études de théologie poussées, et non la simple vocation), et certainement aussi au patrimoine architectural qu'ils ont laissé derrière eux aux quatre coins du Globe, depuis le Sonora mexicain jusqu'aux Philippines, en passant par l'ensemble le plus vaste et somptueux : la Province du Paraguay.
C'est cette emprise globale et trans-impériale, à la solde du pape auquel les Jésuites font vœu d’obéissance, qui fit rapidement percevoir les Jésuites comme un pernicieux État dans l’État et provoqua leur disgrâce à la fin du XVIIIème siècle : ils furent successivement expulsés de tous les royaumes et empires coloniaux européens (dont la Couronne espagnole, en 1767), avant de voir leur ordre dissout par le pape Clément XIV en 1773. Une fois terminée l'ère des Lumières, de l'Absolutisme et des Révolutions, l'ordre sera rétabli en 1814 et les Jésuites repartiront de plus belle à la conquête de la planète...
Les Jésuites entre la Pampa et le Chaco
En Amérique du Sud, la Compagnie de Jésus s'est implantée en 1589 à Córdoba (Argentine), qui devint l'épicentre d'un véritable empire polyvalent. La ville était en effet le siège de la
manzana jesuítica, un îlot entièrement dédié aux activités des Jésuites, qui y possédaient un collège (
el Colegio Máximo), une église (
la Iglesia de la Compañía) et diverses dépendances. Au-delà de la ville, dans la campagne et les
sierras environnantes, l'ordre possédait six
estancias, vastes domaines agricoles esclavagistes voués principalement à l'élevage des mules, une marchandise à forte valeur ajoutée sur le
Camino Real qui reliait la mine du Potosí au port de Buenos Aires. Épicentre économique et politique, à mille lieues géographiques et idéologiques de tout œuvre évangélique.
A l'inverse, leur projet missionnaire était centré sur la Province du Paraguay, qui dépassait largement les frontières actuelles du pays homonyme. Elle s'étendait depuis le département bolivien de Beni au nord-ouest, jusqu'à l’État brésilien du Rio Grande du Sul à l'est. Au sud, elle atteignait Yapeyú (province argentine de Corrientes). Dans cet espace sauvage et reculé, peu accessible, les Jésuites fondèrent un ensemble de Missions (misiones), domaines ruraux centrés sur une église et ses dépendances (cloître, baraquements, collège, ateliers), également dénommées Réductions (reducciones) en vertu de la volonté obsessionnelle de la Couronne espagnole et des ordres religieux de “réduire” à la vie sédentaire les peuples nomades de la forêt, lesquels ressortissaient à la grande famille ethnolinguistique des Guaranis et dont le mode de vie horrifiait déjà la civilisation urbaine andine des Incas. Sédentarisation, évangélisation, infantilisation même diront certains (Edgar Quinet en tête) : les jalons d'une acculturation indéniable, dont il serait toutefois absurde de vouloir nier une réalité effective, celle d'une protection contre les conquistadores, bandeirantes et autres prévaricateurs espagnols et portugais. Les Jésuites ont permis de retarder, sinon d'empêcher, l’anéantissement de la culture guaranie, qui surviendra dès le lendemain de l'expulsion des Jésuites en 1767. Dans la foulée, toutes les missions jésuites seront démantelées et ruinées. Seules celles de Chiquitos subiront une restauration complète et réussie à la fin du XXème siècle.
A son apogée, la Province du Paraguay totalisait plus d'une cinquantaine de missions :
- une trentaine concentrée dans et autour de l'actuelle province argentine justement nommée Misiones ; elles sont aujourd'hui classées par l'Unesco comme Missions jésuites des Guaranis et Missions jésuites du Paraguay (voir nos fiches spécifiques) ;
- une vingtaine éparpillée dans l'Oriente bolivien, incluant deux ensembles distincts : les Missions jésuites de Chiquitos (département de Santa Cruz de la Sierra), classées par l'Unesco et ici développées sur la présente fiche ; les Missions jésuites de Moxos, plus au nord dans le département de Beni.
Le Baroque Guarani
Les Missions auront permis l'éclosion d'une culture métisse originale, dénommée
Barroco Guaraní, mêlant conceptions savantes occidentales et sensibilité amérindienne, qui s'est incarné de diverses façons. Côté architecture, le Père jésuite d'origine suisse
Martin Schmidt (1694-1772) fut le maître d’œuvre des missions, dont la décoration picturale révèle cependant la participation essentielle des Chiquitos. Côté musique, le Père jésuite italien
Domenico Zipoli (1688-1726 ; décédé en l'estancia de Santa Catalina, à Córdoba, Argentina) a composé des œuvres vocales et instrumentales pour des exécutants Chiquitos ; aujourd'hui, les lointains héritiers des amérindiens perpétuent cette tradition musicale dans le cadre du très remarquable Festival International de Musique Baroque, organisé par l'APAC (
Asociación Pro Arte y Cultura) tous les 2 ans, depuis 1996 (dernière édition en date : avril-mai 2016) ; des enregistrements en sont disponibles dans le commerce ou sur le web, et constituent une porte d'entrée idéale et éblouissante à l'univers des Missions jésuites de Chiquitos. Suivez-en l'actualité sur la page Facebook
FestivalDeMusicaBarrocaMisionesDeChiquitosBolivia.
De fait, la saison idéale pour visiter les Missions débute effectivement en automne (avril), après l'été torride et ses averses apocalyptiques qui rendent les pistes peu transitables, et s'achève vers le mois de novembre.
Comment y aller ?
Lorsque l'on jauge rapidement la carte de l'Oriente bolivien, on peut être facilement induit en erreur, car à proximité du Brésil immense tout semble comparativement plus petit. On penserait que le chapelet de missions est réparti dans un mouchoir de poche, et on s'imaginerait volontiers visiter l'ensemble en une journée au départ de Santa Cruz de la Sierra. Or, il n'en est rien !
Les missions se répartissent sur une boucle, au départ de Santa Cruz de la Sierra. San Ignacio de Velasco constitue le point le plus éloigné de Santa Cruz, dont il est distant de la bagatelle de 460km par le bras nord de la boucle, et 480km par le bras sud. Le bras nord dessert les villages et missions éponymes de San Javier et Concepción ; le bras sud, ceux de San Miguel, San Rafael et San José de Chiquitos (que nous n'avons pas visité, à cause d'une avarie mécanique). La mission de Santa Ana est accessible par un petit crochet de 70km qui relie San Ignacio et San Rafael en évitant San Miguel.
Outre les distances importantes (1000km donc, au départ et à l'arrivée de Santa Cruz), l'état du réseau routier est un facteur qu'il faut bien avoir en considération au moment d'entreprendre le périple. La sortie de Santa Cruz est asphaltée mais très chaotique. La Nationale 4, qui relie Santa Cruz à San José de Chiquitos (“bras sud”) et au-delà connecte la Bolivie au Brésil, est pareillement rocambolesque et encombrée de camions sans foi ni loi. En revanche, le grand arc qui relie San José de Chiquitos, San Rafael, San Miguel, San Ignacio et Santa Rosa de la Roca ("bras nord", Nationale 17) est une piste de traverse en terre (une terre chaqueña rougeâtre, volatile à la saison sèche, terriblement boueuse à la saison humide), peu fréquentée (donc gare aux avaries mécaniques). Enfin, le tronçon entre Santa Cruz et Santa Rosa de la Roca (Nationales 9 et 10) est de nouveau asphalté, mais c'est une route de moindre importance que la Nationale 4 et les nids de poule y étaient très nombreux en 2010...
Voilà pour les indications utiles si vous possédez un véhicule (ou si vous en louez un à Santa Cruz de la Sierra), de loin l'option la plus recommandable car elle vous permettra de ne pas perdre trop de temps avec les transports en commun, lents et aléatoires. Sachez toutefois qu'il existe des bus ou des services de van-taxi qui relient Santa Cruz de la Sierra à différentes localités ; nous avons eu l'occasion d'effectuer le trajet entre San Ignacio de Velasco et Santa Cruz en van-taxi, lorsque notre propre véhicule était hors-service ; ça n'était pas précisément confortable, et le prix était tout de même assez corsé. Vous pouvez également recourir aux services de taxis locaux (pas forcément homologués) pour rayonner autour des principaux villages ; par exemple, cela peut être utile pour visiter San Miguel, San Rafael et Santa Ana au départ de San Ignacio, sur une journée.
Où dormir ?
Au long de la boucle qui relie les missions, chaque village d'étape offre une ou plusieurs possibilités d'hébergement, notamment à San Javier, Concepción et San Ignacio de Velasco (le village le plus étoffé). San José de Chiquitos est également un carrefour stratégique sur la nationale 4. Prévoyez deux étapes pour effectuer la boucle en toute tranquillité, par exemple à Concepción puis à San Rafael.
Les fiches thématiques sans ancrage local particulier ne sont pas épinglées sur la carte.