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“Les seigneurs de l'anneau”

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Nous voici sur le tournage de “G{o}rill{e}” dans la brume”. Un fumet suave et délicat vous aguiche les narines dès l'aube, et on se laisserait volontiers tenter par une petite tira de asado pour patienter jusqu'au déjeuner.
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Bienvenus à la Nouvelle-Chicago, alias Mataderos, barrio populaire de l'ouest portègne ; la comparaison avec la capitale du corned-beef tient à ses abattoirs {mataderos}, jadis centre névralgique de la viande argentine ;
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aujourd'hui, les bovins vont se faire débiter en banlieue1, et les ruelles pavées sont encombrées d'une autre espèce de bétail : le badaud, qui tombe tout aussi impitoyablement sous le couperet des artisans et autres camelots qui peuplent la dominicale feria2.

1 Les abattoirs ont été transférés à plus de soixante kilomètres de Capital Federal, mais Mataderos demeure le cadre du Mercado de Liniers, plateforme d'achat/vente du bétail, qui absorbe 15% du marché national.

2 Feria = marché à ciel ouvert, à la périodicité généralement hebdomadaire ; différent du mercado, couvert et permanent.

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On se laisserait facilement tenter par quelques effets propres à réveiller le gaucho qui sommeille en soi : bombacha bouffante dernier cri, boina basque, ceinturon bardé de pièces d'argent, facón et rebenque...
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Au pied du beffroi qui couronne les ex-abattoirs, désormais reconvertis en un Musée Créole des Corrals abritant une {paraît-il} splendide collection gauchesque, un bal folklorique bat son plein ;
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que l'on ne s'y méprenne pas : la posture rigide de ces danseurs induirait en erreur le lecteur hélas privé du son, qui croirait à tort que l'on piétine sur quelque rengaine de milonga...
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ici point de tango, apanage du Sud prolétaire ; le monde agricole se nourrit plus volontiers du folklore provincial, et l'échevelée chanteuse de chamamé charme chertainement l'impavide resero1 de pierre qui domine l'estrade ;

1 Resero = gardien de troupeau, profession de prédilection du gaucho.

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dans la foule, quelques visages cuivrés semblent embarqués dans un cabotage nostalgique au long du Paraná, jusqu'à la lointaine Corrientes dont guitares et bandonéon sont les sirènes hypnotiques.
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A quelques dizaines de mètres de là, c'est une chacarera qui entraîne les convives de cette pulpería1 patriotique dans une danse effrénée — je me sens un rien guindé avec mon petit polo bleu marine...

1 Pulpería = débit de boisson traditionnel

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Au mur, le souvenir de gueuletons mémorables et de rossinantes primées agrémente joliment une décoration un peu vétuste et vraisemblablement hors-norme.
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Une demi-livre de viande plus tard, on fait signe désespérément aux serveuses surbookées de nous apporter d'urgence un petit Fernet digestif —à moins qu'on s'autorise quelques pastelitos fraîchement frits ?
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Alors que la chaude après-midi inviterait à la sieste, une escouade de cavaliers converge peu à peu vers l'avenue Lisandro de la Torre, comme qui dirait sur leur 31.
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Cependant, un solide mousquetaire, la casaque ornée d'un Gauchito Gil très christique, suspend un petit anneau à ce qu'un béotien prendrait peut-être pour un but dépourvu de filet ;
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mais les gaillards ne sont pas ici pour jouer en équipe, même si la récurrence de Gauchito Gil pourrait faire penser qu'il s'agit de la mascotte d'un club de polo.
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Trêve d'élucubrations, déjà le premier concurrent s'élance, droit dans ses étriers, son destrier martelant le pavé d'un galop frénétique entretenu à grand renfort de coups de cravache ;
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à l'approche du portique, le cavalier dégaine son arme: une tige métallique guère plus longue qu'un couteau ; et, dans la mesure où le lui permet sa monture débridée, il vise l'anneau susmentionné...
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Raté pour cette fois-ci, malheureusement ; la mine contrite, notre farouche concurrent rebrousse chemin jusqu'à la case départ, sous le regard un brin moqueur d'un Radical1 en herbe.

1 Le gamin au premier plan arbore ostensiblement une boina {béret de laine} blanche, symbole historique de l'Union Civique Radicale, premier parti politique populaire de l'Histoire argentine.

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Un rival plus adroit, ou chanceux {serait-ce Gauchito Gil qui lui facilite miraculeusement la tâche ?}, parvient à enlever l'anneau dans un effort souverain qui l'en fait perdre son béret.
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Cette corrida de sortija est ouverte à tous {mais visiblement pas à toutes...}, et si la moyenne d'âge oscille autour des 20 ans, cela n'exclue nullement les extrêmes, de 7...
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...à 77 ans ! Fièrement calé dans de splendides étriers {et visez-moi un peu cet harnachement de toute beauté qui se détache crème sur la robe brune !}, papy n'a pas froid aux yeux !
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Eeeeepa ! Piquant sauvagement des deux, le facón1 glissé en travers du ceinturon comme il se doit, notre authentique gaucho s'élance sans l'ombre d'une hésitation vers une gloire certaine.

1 Facón = longue dague du gaucho

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Et déjà papy revient de son échec cuisant et retente aussitôt sa chance, sous le regard compatissant de ses supporters. Mais nous ne nous appesantirons pas plus longtemps sur sa déconfiture. N'est pas seigneur de l'anneau qui veut !

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